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Aline Hufschmit, 1999.

Le cornet à bouquin : entretien avec Serge Delmas

cornet

Serge Delmas, professeur de trompette et de cornet à bouquin au conservatoire de Paris, également concertiste, se consacre depuis quelques années à la fabrication des cornets muets et à bouquin. Je suis allée l'interroger sur la facture de ces instruments.

Aline Hufschmit : Que peux-tu me dire sur l'origine du cornet ?

Serge Delmas :L'origine du cornet est incertaine, mais déjà dans l'iconographie musicale au 8e siècle, on possède une peinture représentant un cornettiste. D'après l'allure de ses doigts, on peut penser que l'instrument, une corne d'animal évidée, est muni d’un ou deux trous. Il est difficile de prétendre qu'il s'agit déjà là d'un cornet, par contre, au musée de Cluny, il y a une sculpture qui date du milieu du treizième siècle où figurent des cornets octogonaux. S'ils sont octogonaux, c'est qu'ils étaient forcément faits en bois ou bien en ivoire. En tout cas, à partir de ce moment-là, ils sont faits en deux parties collées et on a vraiment affaire au cornet à bouquin.

Ce qui est totalement certain, c'est qu'à Bologne, en 1226, on mentionne la présence de deux cornets qui devaient jouer des motets à la sortie de l'office, cela n'était pas admis à l'église, mais le fait qu'ils jouent des motets était signalé. À cette époque ils étaient donc au moins munis de cinq trous pour pouvoir jouer ces pièces correctement, sinon on ne les aurait pas laissé jouer. Au 17e en Allemagne, même avant, on ne disait pas jouer d'un instrument, mais corner un instrument en ce qui concerne les instruments à vent, je pense que l'origine du nom vient de là.

AH : Ces différents éléments de l'iconographie musicale apportent-ils des informations intéressantes pour la fabrication du cornet ?

SD : L’iconographie musicale donne très peu d’indications pour la facture. On peut s’y référer pour comparer la taille du cornet par rapport au corps humain et pour en déduire le diapason utilisé, mais à cette époque, comme tout est symbolique, il est possible que pour un ange jouant du cornet, les tailles respectives de l’ange et du cornet ne correspondent pas à la réalité. L’artiste prend trop de libertés dans la représentation des instruments pour que les sources iconographiques soient fiables.

La seule information sûre et intéressante que l’on peut en tirer concerne l’existence ou non de certains instruments : cornet muet, cornet courbe, cornet droit à embouchure, etc., mais les dimensions n’étaient pas fiables. On possède de nombreuses représentations de cornets du 16e et 17e, du 15e également dans le cadre des musiques de rue. Mais, au 15e le cornet n’existait que sous la forme des serpents, et je ne pense pas qu’il s’agissait de superbes instruments… à regarder, oui, mais au point de vue musical, cela ne devait pas être fameux, sinon on les aurait vus à la sortie de l’office.

AH  : Peux-tu me parler de la répartition géographique du cornet et des différences de factures d'un pays à l'autre ?

SD  : C’est un instrument qui s’est répandu dans toute l’Europe : France, Italie, Angleterre, Allemagne, Autriche… il y avait différentes sortes de perces, par exemple les cornets allemands avaient une perce plus grosse que les cornets italiens, pour quelle raison ? Je ne sais pas ; ils fonctionnent très bien les uns comme les autres. Peut-être était-ce ainsi pour que le cornet allemand se marie beaucoup mieux avec la saqueboute, et tous les cuivres basse alors que le cornet italien jouait plutôt avec des cordes. C’est une opinion qui n’engage que moi, mais c’est la seule explication que j’ai trouvée. Le répertoire italien était très diffusé et très joué dans toute l’Europe.

AH : Comment effectue-t-on la perce de l'instrument, quelles sont les sources que l'on peut utiliser pour reproduire la perce ancienne ?

SD : La perce est un développement de proportions géométriques par rapport au nombre d’or, c’est-à-dire qu’on se sert du nombre d’or comme rapport entre les trous. Ces derniers ont aussi leur proportion propre qui est assez caractéristique. La taille du dernier trou, par exemple, est plus petite, car il est ramené afin que l’instrument soit adapté à la taille de la main.

À l’époque, l’utilisation des traités de mathématiques était courante, et une bonne maîtrise de ces outils de calcul était nécessaire. Une famille italienne, à Vérone, appelée Bassano construisait des clavecins, c’est une chose que j’ai découverte. Pour construire les tables de clavecin elle utilisait un compas de proportion réglé sur la proportion dorée c’est-à-dire, 1/618, proportion que l’on connaissait déjà depuis très longtemps. Cette famille là, quand elle s’est mise à construire des cornets, elle a tout de suite construit des instruments qui marchaient très bien, je me suis demandé pourquoi et j’ai pensé que ce compas de proportion y était pour quelque chose…

La manipulation des rapports de proportion et du nombre d’or était indispensable pour la fabrication des tables de clavecins. C’est à l’évidence la maîtrise de ce compas de proportion, qui leur avait permis de fabriquer des cornets sonnant très juste. Je l’ai donc utilisé, et j’ai redécouvert son usage. J’ai d’abord lu le Traité de la divine proportion de Lucas Paccoli qui est un outil de connaissances et de maîtrise dont on peut se servir pour établir les rapports de proportion d’une perce aussi bien que pour l’architecture ou la poésie. J’ai pris le temps de réaliser l’énorme quantité d’exercices qui est à la fin du traité, j’y ai passé une bonne année. J’ai acquis une certaine maîtrise de cet outil et j’ai utilisé toutes ces proportions, grâce au compas, pour établir une perce de cornet. Je me suis aperçu que le résultat correspondait réellement aux cornets qui étaient dans les musées, le même espacement des trous et le reste…

AH : Peut-on se fier à ces cornets que l'on a conservés, comme modèles pour la fabrication de nouveaux instruments ?

SD :On peut se fier aux cornets qu’il y a en Europe, mais pas à tous, car ils ont bougé. Pour la plupart, les bois ont travaillé et pris l’humidité, de plus, ils ont été ou moins mal restaurés, dans des conditions… on se demande, pour certains, ce qui c’est passé ! Par contre en Italie, il y a encore de très bons restes, notamment dans quelques collections privées à Vérone. Ils constituent quand même un bon témoignage de l’instrumentarium de cette époque-là.

AH : Existe-t-il d'autres traités qui décrivent la méthode de fabrication du cornet ?

SD : Il y a le traité de Mersene. Mais moi, je n’ai pas réussi à fabriquer un cornet à six trous tel que Mersene le décrit, enfin, un cornet qui fonctionne. L’instrument ne marche que sur cinq notes de la gamme, et je ne vois pas comment un instrumentiste aurait pu réussir à jouer les autres. Mersene a peut-être omis certaines informations indispensables à son bon fonctionnement, mais je n’ai pas trouvé où se situe l’oubli et ce cornet ne fonctionne pas.

Mercene n’était pas un facteur, c’était un théoricien qui ne connaissait pas le maniement de ces rapports de proportions ni leur existence, car sinon il n’aurait pas manqué de les spécifier dans son traité, bien qu’il indique toutefois certaines mesures de perce pour le cornet qu’il décrit.

Quant à Bassano, il ne nous a pas laissé de traité. De manière générale, sur la facture du cornet, il n’existe aucun traité réalisé par un véritable facteur.

AH : Quels sont les bois utilisés pour la fabrication du cornet ?

SD :Les bois utilisés sont des bois fruitiers à grain fin de préférence, car ceux à fibres longues travaillent et finissent par casser, ou plutôt par fendre.

L’usage de bois particuliers n’était pas uniquement dû à leurs qualités physiques. Chaque essence d’arbre était associée à une symbolique particulière qui devait coïncider avec celle de l’instrument. A ce propos, René Cote a écrit un livre ou l’on trouve des informations sur la symbolique du cornet courbe et du cornet muet. Dans l’œuvre de Monteverdi, par exemple, le cornet courbe intervient, chaque fois, lors de l’évocation des enfers ou du cornu, du diable si tu préfères. En revanche, lorsque Monteverdi évoque les anges ou les cieux, il utilise le cornet muet. Ce cornet muet est droit et fait d’une seule pièce alors que le cornet à bouquin est courbe (en forme de corne) et constitué de deux pièces.

Le bois utilisé pour cet instrument devait être très stable, car les colles d’origine animale ou végétale de cette époque ne tenaient pas l’humidité. Comme les parois n’étaient pas collées, si le bois n’était pas stable il pouvait travailler davantage et la courbure des deux parties ne correspondait plus. D’ailleurs, dans les musées on rencontre de nombreux problèmes pour ce genre d’instruments, il y a beaucoup de cornets qui ne sont plus jouables à cause de cela. Ils utilisaient donc des liens, à plusieurs endroits, pour joindre les deux parties du cornet. Pour finir, ils recouvraient l’instrument de parchemin qu’ils posaient mouillé pour qu’en séchant, il resserre les deux moitiés. Ceci donnait au cornet son étanchéité. Le cuir, lui, garde ses dimensions et se pose à sec. Utiliser du cuir ou du parchemin ne fait pas une grosse différence à par que le parchemin à l’avantage d’être très solide, très résistant à l’humidité et à la chaleur. Tandis que le cuir, lui, est fragile.

Les bois utilisés pour le cornet à bouquin étaient donc le noyer et l’if comme le souligne Trichet qui spécifie dans son traité de nombreuses d’essences de bois utilisées pour la fabrication du cornet. Le bois de Noyer avait une connotation néfaste, car lorsqu’on se couche ou que l’on se met à l’ombre d’un noyer, on ressent des nausées et des maux de tête. Cela est dû au fait que l’arbre produit des toxines qui empêchent également toute autre plante de pousser dessous. Quant à l’if, ses baies étaient utilisées pour enduire les pointes de flèches de poison ou même pour empoisonner les gens. D’autres bois ont été utilisés, l’épine par exemple qui peut être rapprochée de la couronne d’épines du Christ. Tous ces bois avaient évidemment cette connotation néfaste, car ils font mal ou apportent du mal à l’homme.

Le cornet muet était, lui, construit avec un bois qui apporte quelque chose à l’homme, comme le pommier, le poirier et aussi le buis qui avait un caractère d’éternité. Il se trouve que par hasard, en dehors de leur aspect symbolique, ce sont tous des bois qui conviennent particulièrement bien pour la fabrication de l’instrument.

AH : Pour construire mon cornet quel bois as-tu utilisé ?

SD : Pour ton cornet, c'est du sycomore.

AH : Tu n'emploies donc plus les mêmes bois aujourd'hui ?

SD : Si, mais j’utilise aussi des bois « exotiques » qui ont les mêmes propriétés, mais qui sont plus durs. J’emploie ces bois, car leur dureté permet d’obtenir un cornet de meilleure qualité. Autrefois, on utilisait aussi de l’ivoire, mais aujourd’hui c’est interdit surtout pour cette quantité. Ce matériau permettait d’obtenir au maximum cette dureté dans les parois qui est si déterminante dans la qualité du son. Le cornet vibre mieux, il y a moins de parasites dans le son, de plus, la réponse est rapide, la mise en vibration est plus facile et il n’y a pas besoin de forcer.

AH : Quelles sont les sources qui te permettent de fabriquer les embouchures ?

SD : Actuellement dans les musées, il ne reste aucune embouchure d’origine, du 17e. Celles qui existent sont des reproductions du 18e. Pourtant il nous reste une référence, et de taille ! : ce sont les cornets muets dont l’embouchure est taillée directement dans le corps de l’instrument. On suppose que les cornettistes qui jouaient de ces instruments ne devaient pas changer de diamètre conséquent d’embouchure pour pouvoir jouer un cornet ou l’autre, qu’il soit muet ou droit, donc on pense que la forme interne de l’embouchure du cornet à bouquin se rapprochait beaucoup de celle du cornet droit. Dans l’iconographie on voit des embouchures qui sont grosses et d’autres, toutes petites, qu’on distingue à peine à la commissure des lèvres… là encore, c’est l’incertitude totale.

AH : La fabrication d'une embouchure a donc dû te poser des problèmes… ?

SD : Lors de la fabrication, le principal problème rencontré se situe au niveau de la queue de l’embouchure. Si la queue n’est pas bien faite, il y a des octaves qui sont fausses, ce qui pourrait faire dire que l’instrument n’est pas bon alors que cela ne vient pas de lui. Aujourd’hui il y a beaucoup de cornettistes qui emploient ce genre d’embouchure et qui mettent en doute la qualité de l’instrument. Au niveau de la fabrication, tout dépend de ce que l’on recherche : il y a des embouchures qui fonctionnent bien sur 1 octave, 1 octave et demie, d’autre sur 2 octaves, mais il y a des concessions à faire à chaque fois, si on gagne d’un côté, on perd d’un autre.

 

AH : Quand tu as fabriqué tes premiers cornets, quels problèmes as-tu rencontrés à part celui de l'embouchure ?

SD : J’ai commencé par copier un instrument en plastique, d’origine anglaise, qui marchait pas mal finalement. Le premier problème, c’était le bois utilisé, j’avais utilisé du bois de hêtre à cause de son faible coût, mais ça ne sonnait pas du tout, donc je me suis renseigné. À vrai dire, je m’étais déjà renseigné, mais je voulais savoir si la nature du bois avait véritablement son importance, car j’aurais bien voulu utiliser un bois peu cher. J’ai alors recopié cet instrument avec un bois plus noble, du noyer, et là, ça marchait plutôt bien, mais j’avais toujours le même défaut, un défaut d’accord et de perce. Je me suis donc plongé, comme je te l’ai déjà expliqué, dans les traités de mathématique de cette époque-là, et j’ai fini par améliorer mes cornets. Quand on ne sait pas vraiment fabriquer un cornet, on ne peut pas éliminer un défaut de perce, on ne peut pas déterminer où ça ne va pas. Donc, j’ai passé du temps à faire des essais, à modifier la perce à certains endroits, c’est là que j’ai vu que la perce était divisée en 5 parties proportionnelles entre elles selon le rapport de la proportion dorée. La première partie prés de l’embouchure est très importante et plus ça va, plus leur importance est moindre.

Après la perce il y a toujours eu des petites modifications à faire, mais on les voit à l’usage. À force d’en faire, on comprend de mieux en mieux comment on doit modeler l’instrument et quelle modification influe sur tel ou tel critère. De toute façon j’ai encore des tas de choses à apprendre.

AH : Finalement, peux-tu me décrire les étapes de la fabrication d'un cornet ?

SD : Quand je fabrique un cornet à bouquin, au début, je pars de deux planches. Dans l’une des planches, je fais une rigole courbe, avec un guide, car l’autre planche devra correspondre exactement. Ensuite je découpe la planche et j’amène la rigole aux dimensions quasiment définitives, avec quand même une petite surépaisseur que je puisse polir et ajuster ensuite sans grand danger d’erreur.

Ensuite, je colle les deux moitiés avec une colle d’origine animale et végétale dans laquelle je rajoute de la résine, ça, c’est ma mixture personnelle. Cette résine permet que la colle, maintenant, tienne à l’humidité, mais elle est toujours d’origine animale et végétale comme à cette époque-là.

J’obtiens alors un cornet de section carrée. Je le ponce pour obtenir une section égale d’un bout à l’autre puis j’enlève les surépaisseurs pour obtenir un cornet plus fin à l’embouchure : pyramidal. Ensuite, grâce à un gabarit qui tient le cornet penché, je coupe les angles au ciseau à bois pour obtenir un cornet octogonal.

Je sculpte alors des dessins décoratifs dessus, des losanges entre l’embouchure et le premier trou. Je plonge alors l’instrument dans une solution saumâtre à saturation, pour stabiliser le bois et l’empêcher de travailler par la suite bien qu’il soit déjà sec, car les planches ont au minimum 15-20 ans de sciage. Quand je le sors de ce bain, je le laisse sécher puis je le remets à tremper, mais cette fois dans de l’huile, pendant deux mois à peu près.

Je le ressors pour poncer la perce définitivement. Je perce les trous tels qu’ils doivent être, et à ce moment-là je peux commencer à accorder l’instrument. Ceci ne veut pas dire que je ne retouche pas la perce, évidemment elle est courbe, mais il existe des outils adéquats pour aller chercher le bois là où il faut en enlever. L’accord terminé, on le replonge dans l’huile pendant huit jours. On le ressort pour l’accorder à nouveau ou plutôt pour ajuster l’accord, et on recommence comme cela au moins quatre fois, après quoi, on peut considérer que l’accord ne bougera plus. Pour l’accorder, on peut grossir les trous, le trou est évasé à l’intérieur. À l’intérieur du cornet il y a des endroits où l’on peut ajuster la perce avec une lime courbe qui permet d’aller chercher du bois à l’intérieur du trou, on accorde souvent comme cela les octaves qui ne sont pas justes au départ. Pour finir, on recouvre le cornet de parchemin, il va rendre l’instrument plus doux, moins criant. Il modifie légèrement la sonorité de l’instrument, mais ne change rien à l’accord, il sert surtout à rigidifier l’instrument.

© musicologie.org 1999


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Vendredi 16 Février, 2024